Directeur de la prospective et de l’innovation territoriales Cabinet Auxilia conseil en transition
Le cabinet AUXILIA a été sélectionné par l’Agglomération du Gard Rhodanien pour l’accompagner dans sa démarche de consultation citoyenne sur son projet de territoire. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Même si l’expérience de solidarité intercommunale est réelle, la communauté d’agglomération du Gard-Rhodanien est une création récente, de janvier 2013. Le précédent mandat (2014/2020) a surtout servi à structurer une administration et organiser une qualité de services aux habitants, au quotidien à l’échelle de cette jeune communauté d’agglomération.
Aujourd’hui le temps est venu que ce territoire – à savoir, les élus et l’ensemble des acteurs qui « font » l’agglomération au quotidien – se dote d’une vision commune, d’un cap à atteindre. Elu(e)s et acteurs du territoire – la richesse associative est réelle ici -, ont tous la même volonté d’agir quotidiennement et le même désir de servir le développement de l’agglomération du Gard Rhodanien et plus généralement la qualité de vie. Mais comment, votre territoire est-il capable d’anticiper et de faire face demain aux vulnérabilités économiques, sociales, climatiques, sanitaires, environnementales qui surviennent? Comment dans un contexte de plus en plus incertain et complexe, ne pas subir et garder la main? Comment imaginer de nouvelles réponses à l’évolution des modes de vie et de consommation des citoyens ? Finalement quelle est la meilleure façon d'agir, d'anticiper ? Voilà les questions posées sur la table. Un projet de territoire ce n’est pas lire dans une boule de cristal et craindre « que va-t-il nous arriver ? » mais bien de se poser deux questions, « que voulons-nous », « que décidons-nous » pour demain. Et pour cela, vos élus ont décidé non seulement de se donner les moyens et le temps de lever le nez du guidon, mais aussi, par la participation la plus large possible de la population – d’ouvrir le champ des possibles d’un nouveau modèle de développement au service de tous les habitants.
Et nous sommes là à un moment idéal d’un début de mandat.
On entend beaucoup dire que les citoyens veulent de plus en plus s’impliquer dans les décisions qui les concernent. Confirmez-vous cette tendance et comment se traduit-t-elle dans les projets des collectivités ?
Je vais être franc avec vous, il y a bien urgence à réconcilier la décision publique avec l’expertise citoyenne. Et les citoyens ne nous ont pas attendu pour monter en connaissances, en compétences sur tous les sujets qui les intéressent directement. Et c’est une chance inouïe ! Par exemple, comment en effet imaginer de nouvelles formes de mobilités douces (à pied, en vélo, etc.) sans associer la communauté des usagers, véritables experts au quotidien des difficultés à se déplacer à vélo ? Comment mieux répondre aux nouvelles façons de vivre et consommer sans prendre le temps d’écouter d’abord les premiers concernés, à savoir les citoyens-consommateurs ? C’est pour cela que je salue la volonté du président et des élus de l’agglomération ici de vouloir écouter, associer jusqu’à coproduire le projet de territoire avec toutes les parties prenantes mobilisables. Et d’ailleurs, ici, on peut déjà affirmer que l’enquête participative a déjà permis l’expression de plus de 1000 contributions citoyennes, provenant de toutes les communes et de tous les âges. C’est un premier bon signal.
Mais on ne doit pas se satisfaire de cela ! Auxilia est une association engagée qui croit à l’urgence d’aller écouter « les sans-voix », ceux qu’on entend plus ou pas assez. Alors depuis plusieurs semaines nous sillonnons le Gard Rhodanien à l’écoute – au-delà des habitués des réunions publiques -, des jeunes en formation, des lycéens, des habitants des quartiers d’habitat social, bref, à l’écoute de tous les signaux faibles du territoire.
Quelques premiers résultats de l’enquête permettent d’ailleurs de souligner la marge de progrès en terme de participation et d’implication des citoyens. 70% des répondants à l’enquête considèrent que la participation des habitants est importante à l’échelle de l’agglomération et la moitié d’entre eux attend de nouvelles façons de faire participer les habitants ! Le projet d’un nouveau conseil de développement ira dans ce sens, mais le projet de territoire par sa méthode participative en est déjà une première illustration.
Tout cela n’enlève rien au rôle essentiel des élus locaux qui est d’offrir une issue positive à des contradictions (dans les usages réels ou les approches) qui peuvent s’exprimer à l’échelle d’un territoire de vie. Associer les habitants c’est avant tout permettre à chaque élu de mieux décider, car la décision du cap commun défini lui reviendra à la fin de cette démarche participative.
Le fait que votre Cabinet ne soit pas situé dans l’Agglomération est-il une valeur ajoutée pour vous ? N’est-ce pas un handicap de ne pas bien connaitre le territoire ? Ou a contrario un atout ?
Cela fait près de vingt ans que nous accompagnons les élus locaux, les territoires, et aux quatre coins de France. Personnellement j’aime beaucoup prendre le temps d’écouter d’abord. C’est notre façon de venir avec un regard le plus neutre possible et de se laisser guider par les expressions des habitants et des élus d’un territoire. Et cette distance, va bientôt nous permettre de dire très franchement, très honnêtement ce que nous comprenons des faiblesses préoccupantes comme des capacités de rebond du Gard Rhodanien. Cette approche permet d’accompagner les changements nécessaires et parfois urgents. Et le fait que nous soyons perçus comme un tiers médiateur « extérieur » entre la décision et la réalité d’un territoire, entre l’élu et l’habitant, entre les services publics et l’initiative associative ou entrepreneuriale est une chance je le crois. C’est un travail de plusieurs mois où la confiance s’installe, jusqu’à l’accouchement de chantiers prioritaires pour demain.
Enfin notre connaissance fine de nombreux territoires de projet me permet d’affirmer devant vous qu’il n’y a pas de territoires « bénis des Dieux » si vous me permettez l’expression ! Il y a toujours à un moment donné, des élus qui renouent avec l’audace et ouvrent de nouvelles perspectives de développement vertueux.
Pouvez-vous nous retracer chronologiquement la manière dont vous démarrez la mission ?
Après le temps de l’écoute démarré déjà depuis plusieurs semaines, nous allons commencer à explorer les futurs souhaitables. En partant des fonctions vitales, se nourrir, se déplacer, se former, se loger, travailler, se soigner, s’épanouir, etc., nous allons créer les conditions d’une expression la plus fructueuse possible pour esquisser des scénarios d’avenir.
L’équipe Auxilia a déjà perçu – dès cette phase d’écoute – une grande envie et une grande capacité de projection des acteurs rencontrés. Je pense par exemple aux acteurs du tourisme avec qui nous avons passé un temps d’une extrême richesse. Au-delà de partager et débattre de leurs visions du futurs, ils ont tenu à dire qu’ils étaient déjà heureux de se rencontrer et souvent même de se découvrir ! Et çà pour nous cela veut dire beaucoup. La qualité des coopérations, la force de réseaux animés déterminent souvent le développement qualitatif d’un territoire. Nous en reparlerons surement !
Bientôt nous allons – malgré les conditions sanitaires qui compliquent un peu tout forcement…- travailler avec les élus du territoire. Confronter leurs regards, leurs projections, à notre premier portrait du territoire vu de la fenêtre de l’équipe Auxilia. Ce moment est toujours d’une grande richesse productive. Et puis au fil des semaines, nous avancerons de l’ossature stratégique à la priorisation de chantiers prioritaires. Et pour cela nous espérons pouvoir associer le plus grand nombre d’acteurs et d’habitants. Vous le comprenez, la qualité du projet de territoire sera aussi importante que le chemin pour y parvenir.
Pouvons-nous déjà à ce stade de votre travail tracer les grandes lignes des premiers retours de l’enquête citoyenne ?
Je ne peux pas tout délivrer ici en quelques mots mais tentons de ressortir d’ores et déjà trois ou quatre faits saillants.
Lorsque nous nous installons sur un territoire, nous interrogeons toujours d’abord les valeurs communes. Ici l’attachement à la nature et à la ruralité saute aux yeux. Les valeurs d’authenticité, de proximité sont ensuite plébiscitées. Enfin plus d’un quart des répondants (27,1%) ne citent aucune valeur en particulier. C’est un chiffre assez élevé par rapport à des territoires similaires mais qui est peut-être à mettre en relation avec la façon dont de nombreux acteurs parle de « verrous inconscients » d’un territoire entouré de pôles attractifs et reconnus - qui ne s’autorise pas suffisamment à exister en commençant par réfléchir collectivement sur les sujets de transition.
Un autre signal fort pour nous est la place du patrimoine naturel et culturel. Lorsqu’on interroge les habitants sur les raisons qui les feraient quitter le territoire, souvent l’emploi, les enjeux familiaux ou la fermeture de services publics prédominent. Ici, avant ces trois points de vigilance c’est « « la dénaturation du cadre de vie et de l’environnement » qui arrive en première citation. Et d’ailleurs, sur la partie « se cultiver » près d’un participant sur deux (46,9%) cite « la défense de notre patrimoine naturel, culturel et historique » comme priorité. Cette haute conscience partagée doit être mise au service du projet de territoire.
Troisième lecture possible, la résilience territoriale, à savoir la capacité à absorber les chocs en comptant sur ses propres forces est peut-être un fil à tirer. Nous voyons des habitants – en pleine crise Covid – prêts à s’engager à « consommer davantage de produits locaux, dans les commerces de proximité et faire vivre l’économie locale » (près de 7 habitants sur 10) et plus globalement désireux de bâtir de nouvelles fiertés locales autour de l’alimentation. Si les secteurs d’activité comme l’agriculture, la viticulture ou le tourisme sont toujours perçus comme de vraies forces, la crainte d’une dégradation de la situation économique du territoire et celle de ses habitants pointe. Aussi la nécessité d’aller développer de nouvelles ressources par la transition écologique est soulignée. Comme une anticipation possible et salutaire ? Les acteurs de la clean-tech rencontrés ne me démentiraient pas.
Enfin, je ne peux pas ne pas souligner l’énorme sujet qui pointe autour du maillage du territoire et de la question majeure de la mobilité et des centralités. D’abord, ce territoire qui attend de se révéler à lui-même puis au monde, ne pourra esquiver une lecture courageuse de l’urgente redéfinition qualitative des pôles urbains au service d’une harmonie entre cœur d’agglomération et villages. Je ne connais pas de territoires durablement attractifs et harmonieux sans un cœur battant et attractif au service de tous.
Les cœurs de bourgs et de villages sont d’une qualité rare et le maintien ou le développement de services de proximité va être un beau sujet de réflexion perçu comme une priorité à plus de 45%. Enfin, c’est dans l’interrelation entre villages, entre bourgs et cœur d’agglomération que de nouvelles alternatives à la voiture doivent être imaginées. Le développement de la pratique du vélo et le partage de la route qui va avec – est pointé par plus de 50% des contributions citoyennes, juste devant le développement de nouveaux transports en commun.
Voilà seulement quatre premiers points issus de l’enquête citoyenne, qui je n’en doute pas feront débat. Il y en a de nombreux autres que nous verrons au cours des prochains ateliers. Notre accompagnement doit servir à défricher, se projeter et aider à la décision, préalable à toute action utile.